Quelques minutes auparavant, j’étais à l’Amap
où je m’approvisionne en légumes et en œufs depuis que je vis à Nantes.
Et j’ai demandé à l’agriculteur présent, Rudolph, si lui et son associé
Joseph se préparaient au dérèglement climatique, s’ils en parlaient. Il
n’a pas tout à fait répondu à ma question, mais m’a dit ce que le sujet
lui évoquait : ce qui le frappe, ce sont les changements qu’il a vus en
15 ans de métier. Plus de vent, plus de pluies et de tempêtes. Des
espèces d’insectes qui ont migré et qui ont donc un plus grand pouvoir
de nuisance. Il m’a dit “moi la seule solution que je vois, c’est de
planter des arbres !”.
Seulement, peut-être qu’il n’y a plus de solutions.
Peut-être que c’est trop tard.
Je présente ça sans en savoir plus, sans savoir vraiment de quoi on parle…
Mais selon les informations que j’ai consultées tout récemment (ici, ici ou ici),
il est déjà trop tard pour sauvegarder notre société, mais aussi notre
civilisation. Certaines projections parlent même d’une disparition de
toute vie sur terre, dans quelques décennies (à cause de l’acidification
des océans, montée des eaux, augmentation des épisodes violents,
déforestation qui n’aura même plus besoin de la main humaine). Le pire
n’est jamais certain, sans doute. Ça conceptualise tout de même de façon
plausible quelque chose que je sentais bien à défaut de le savoir : les
décennies à venir vont être difficiles. Peut-être que le vrai choc
arrivera après la disparition de notre génération (je suis trentenaire),
mais ça me touche tout de même, bien sûr, cette impression d’imminence.
Ça me touche, ça m’accable, m’interroge, me remue.
Je me demande forcément : que faire de ça ?
Voilà ma réponse aujourd’hui.
Prendre conscience de tout cela, passer le “oh my god point”, canalise
des cheminements qui se faisaient en moi depuis longtemps. Voici
quelques uns de ces cheminements.
- Je suis en transition vers une alimentation moins industrielle depuis plusieurs années. J’ai constaté que les goûts, ça évolue. Mais c’est difficile, beaucoup de choses sont addictives et présentes partout.
- J’essaie d’avoir moins de désir de consommer, d’acheter un maximum de produits d’occasion.
- Je tente d’avoir le courage, devant chaque choix, devant chaque désir, de réfléchir honnêtement pour être en accord avec mes valeurs, mes intuitions. C’est difficile. Je vise une ligne d’horizon, je fais des écarts et j’essaie de ne pas m’en vouloir lorsque ça arrive. Je ne parle pas là que d’écologie et de consommation, je parle de choix professionnels, privés. On m’a dit lorsque j’étais ado : “tu réfléchis trop, ça te rendra malheureuse”. J’ai longtemps pris ça comme une prophétie, mais je peux maintenant dire que c’est faux. Par contre, réfléchir beaucoup demande d’être courageux, pour mettre au maximum ses actes en accord avec le fruit de ses réflexions.
- Je fais un travail sur moi pour faire émerger mes vrais désirs et les vivre : aimer quelqu’un qui me le rend bien, exprimer ce que je ressens, ce que je pense, prendre confiance en moi, me débarrasser de la culpabilité ou en tout cas ne pas la laisser me guider. Je fais un travail pour débroussailler ce qui m’empêche, ce qui m’empêchait (puis-je déjà en parler au passé ?) d’oser chanter, écrire, dessiner. C’est long, mais j’y arrive. Merci à ceux qui m’y aident.
- Je me questionne sur le fait d’avoir des enfants : au fond de moi, j’en ai envie, d’autant que j’ai trouvé l’amour le plus beau du monde (oh, j’espère que vous aussi, sans déconner !), mais j’oscille entre “oui moi aussi j’y ai droit” et “je n’assume pas de mettre au monde un enfant dans le monde à venir”… On verra comment ça évolue.
- Pour moi, tout est politique. On peut s’estimer peu intéressé par la chose politique, mais il faut admettre que tous nos choix et nos non-choix, petits et grands, impactent les autres. Nos métiers, nos achats, notre alimentation. Je trouve très difficile de continuer à vivre, à consommer, tout en sachant que notre mode de vie crée tellement d’inégalités, de la pollution, de la destruction. Si notre civilisation thermo-industrielle arrive à sa fin (je ne veux pas dire “on va tous mourir”, ok ? Je veux dire “on ne pourra plus continuer à vivre comme maintenant, qu’on le veuille ou non”), et alors quoi, comment puis-je continuer à vivre normalement ?
- J’ai eu besoin parfois de m’écarter du bruit et des énergies créés par les autres, y compris par mes proches. Pour les proches : j’ai finalement compris que nous ne sommes que rarement capables d’écouter ce que quelqu’un a à dire, nous répondons en projetant nos angoisses, nos désirs. Ça ne m’aide pas à faire ce que j’ai à faire. Pour le monde de façon plus générale (oui je pense à toi Facebook) : être exposé à l’actualité, à l’agitation incessante, m’était devenu insupportable. Impossible de penser, impossible de me concentrer. Au contraire, ça a fait de la procrastination une norme. J’ai parlé il y a quelques années à une amie d’un projet de blog que j’avais en tête, elle m’avait répondu quelque chose comme : “haha oui, tu as un « projet », comme nous tous”. Oh mon dieu, mais je ne veux pas faire partie d’une longue liste de jeunes gens velléitaires… J’ai eu besoin de me concentrer sur mes pas, sur mon bruit intérieur : qu’est-ce que je veux vraiment, qu’est-ce que j’ai envie de faire, de dire. Je crois que je me sens capable d’entendre à nouveau ce que le monde et les gens que j’aime ont à dire, en restant concentrée sur mon chemin. Un équilibre sur le fil, pas facile à tenir. Mais je veux tenter le coup.
Je suis donc en transition depuis pas mal de temps.
Je lutte beaucoup contre l’akrasia ; j’adore ce mot découvert récemment,
qui décrit ce phénomène désespérant : je sais ce que je VEUX faire, ce
que je DEVRAIS faire, pourtant je n’y arrive pas. Mais toutes ces luttes
m’ont servi à quelque chose, heureusement !
Ça m’a fait peur, ça m’a désespérée, ça m’a épanouie. Je chante,
j’écris, je m’exprime, j’agis de plus en plus en harmonie avec moi-même.
Il se passe des choses magiques quand on va chercher à l’intérieur de
soi et que l’on s’aligne.
Le défi est tellement énorme… Comment trouver du sens dans nos choix de
vie ? Comment trouver sa place quand on sent que ça cloche et craque un
peu partout ? Comment vivre dans ce monde d’après qui semble se profiler
?
Quel est mon but, quels sont vos buts, à vous ? Comment va-t-on atteindre nos buts ? Comment être heureux ?
Je veux échanger avec d’autres, des proches et des inconnus à ce propos.
J’ai besoin et envie de parler de la transition que nous allons tous
devoir faire, contraints ou forcés. J’ai déjà une expérience de la
transition, et j’ai envie de raconter comme ça m’a été bénéfique.
J’aimerais connaître l’expérience d’autres que moi, pour avancer encore
et encore, car ça n’est jamais fini. Je n’ai pas, je n’ai plus besoin de
prouver qui je suis, ou que ce que je pense est bien, mais j’ai envie
de montrer les choses que je fais, qui n’ont souvent rien à voir avec
l’écologie, parce que cela fait partie d’un tout, pour moi.
Parvenir à être courageux, combatifs, épanouis, solides, déterminés, solidaires, généreux et heureux. Pour ne pas s’effondrer.
Tant qu’on a assez d’énergie pour utiliser internet, je vais essayer
d’écrire ici sur le sujet. De façon vaste et libre. On verra ce que ça
donne.
En tout cas, on va pas se laisser abattre.