Les kappa sont des créatures néfastes du folklore japonais qui ont le haut du crâne rempli d’eau, liquide dont ils tirent leur puissance. Ils aiment notamment la chair des petits enfants. Pour les piéger, il faut les saluer à la japonaise, et tandis qu’ils se penchent pour répondre, ils laissent couler l’eau de leur tête, ce qui les rend inoffensifs.
Est-ce qu’on a aussi versé dans le crâne des djihadistes un liquide qui les rend cruels ?
Peut-être remplissent-ils de quelque chose le vide creusé par des questions existentielles. Pourquoi suis-je sur terre ? Que deviendrai-je après ma mort ? Pourquoi est-ce que je souffre et pas eux ? Pourquoi ont-ils tout et pourquoi n’ai-je rien ? Pourquoi est-ce que je souffre alors que j’ai tout ? Pourquoi vit-on comme si de rien n’était ici alors qu’ils souffrent tellement là-bas ?
Il me semble qu’avant le XXe siècle, ces interrogations trouvaient leur réponse dans les religions. Puis sans doute dans les grands idéaux politiques. Et puis jusqu’à récemment, on restait vivre dans la communauté qui nous avait vus naître. Des réponses se transmettaient de génération en génération. On vivait beaucoup par et pour les autres : la famille, le village.
C’est de ce besoin primordial de sens que l’on a créé les religions, qui se sont transformées en monstres institutionnels et en outils d’oppression. Idem pour les grandes idéologies incarnées en régimes.
Aujourd’hui, nos vies doivent trouver leur sens dans le consumérisme, le capitalisme, l’hédonisme.
Les deux premiers sont des systèmes qu’on dit sans alternatives. Ils créent pourtant des injustices et détruisent nos ressources naturelles, et bien sûr ne répondent pas à nos questionnements existentiels. L’hédonisme fait office de philosophie de vie pour beaucoup d’entre nous. Détaché de tout contexte, le fait de vivre pour les plaisirs de l’existence en attendant la mort pourrait être inoffensif, mais dans une époque interconnectée, il est quasiment impossible d’être hédoniste sans nuire à son prochain, sans condamner un peu plus les générations futures.
Bien sûr, on se repose également sur la science et la rationalité : tout est explicable ou le sera un jour. Tout ce que la science peut faire, elle le fera. Elle a bien permis d’aller sur la Lune et de greffer des cœurs… D’une part, il s’agit pour beaucoup d’entre nous de croyances : je ne saurais pas expliquer la plupart des principes scientifiques qui régissent ma propre vie ou les technologies que j’utilise. Je me base sur le consensus général comme quoi ils sont vérifiés et vérifiables. D’autre part, la science ne répond pas aux questions que l’on peut se poser sur le sens de sa propre existence, et ne nous aide pas à vivre ensemble. Enfin, se reposer uniquement sur la science a les mêmes méfaits que les religions, et conduit à donner des réponses toutes faites plutôt que de se responsabiliser pour régler les problèmes. Ainsi, le scientisme pousse certains à croire que dans l’avenir, le tout puissant cerveau humain saura trouver des solutions au dérèglement climatique, à la pénurie d’énergie, aux déchets nucléaires, et même à la mort.
Nos leaders aussi sont vides. Je ne crois pas avoir besoin de développer ce point. Je ne parle pas uniquement des leaders politiques, mais même voter ne semble servir à rien.
Qui réussit à atteindre le bout du chemin de sa vie en se sentant en paix ? Sur ce chemin, combien de dépressions, de mal-être, de burnouts, d’errance, d’alcoolisme, de cynisme, de nihilisme ? On s’est libérés des religions, de l’emprise de la famille et du milieu d’origine, et maintenant on fait quoi pour donner du sens à nos vies ?
Je crois qu’à un moment donné, on a eu ça en commun avec les djihadistes. Selon cet article sur leur profil psychologique, ils ne sont pas des robots, des êtres sans cœur. Au contraire, ils sont décrit comme des individus très sensibles. Pour une raison ou pour une autre, sans doute pour un faisceau de raisons, ils ont rempli leur vide existentiel par les promesses du Djihad : ils seraient des héros qui rétabliraient de la justice. Les types du Bataclan ont apparemment beaucoup répété que ce n’était que justice que leurs victimes souffrent, pour ressentir la même chose que leurs femmes et leurs enfants en Syrie. Quel égarement…
Je ne pense pas qu’on mérite ces crimes parce qu’on s’est laissés aller à des modes de vie trop vains, personne ne mérite de souffrir. Ni en Syrie, ni à Paris, nulle part. Même pas les assassins.
Mais peut-être que l’on peut partir en quête de libération et de sens en refusant systématiquement les réponses toutes faites. Peut-être même qu’en chemin on trouvera de l’espoir. Pour ça on n’a pas besoin de religion, d’église, ni de dieu !
Plus jeune, je rêvais de rencontrer un Yoda, un Gandalf ou un Dumbledore (que des types, pour changer). L’avantage avec ces trois personnages de fiction, c’est qu’à un moment donné de l’histoire on comprend que le héros va devoir se débrouiller sans eux. N’ayant pas croisé ce genre de guide qui aurait réponse à tout, j’ai mis plus de temps que Harry, Luke ou Frodon (que des types, pour changer) à comprendre que je pourrais me démerder seule.
Je dis « seule », mais mes parents m’ont transmis des valeurs que j’ai questionnées et conservées pour la plupart. On peut s’alimenter spirituellement partout et de tous. Mais il faut trouver sa propre direction sans accepter aucune idole et se responsabiliser sans vivre entièrement par et pour les autres. Ainsi à notre tour, on sera capables de leur apporter quelque chose de bon.
Tout peut nourrir lorsqu’on a faim de cela, et par exemple, le personnage de Bouddha, vraiment découvert dans un manga, m’a bien plu : il a le bon goût d’être juste un homme moins con que les autres. Tiens, en passant, mais sans rien révéler pour éviter le spoil, je conseille aussi le huis-clos de SF « Man from earth », film où l’on croise Bouddha et Jésus, entre autres passionnants sujets évoqués.
Étant moi-même en grand chantier, je tente quelques trucs.
Si quelque chose que je fais pense ou dis nuit à quelqu’un ou quelque chose, y compris à moi-même, je veux essayer à terme d’arrêter de faire, penser ou dire ces choses. Je veux me laisser atteindre par tous les être vivants, arrêter de glisser à la surface des autres en ayant peur de ce qui pourrait se passer. Je veux chercher ce que je désire vraiment au fond de moi, et m’organiser pour l’atteindre.
Bon, ça peut déjà prendre toute la vie, mine de rien. Je ne prétends pas atteindre tous ces objectifs, mais je tourne mon intention vers là. C’est de cette quête que je parle ici. Par exemple, on sait que notre pays achète du pétrole à des pays qui financent Daesh. Essayer de réduire au minimum sa consommation de pétrole tout en militant pour une sortie des énergies fossiles semble donc être une option logique qui peut avoir du sens…
Et puisqu’on parle de ne pas nuire aux autres… Je ne comprends vraiment pas pourquoi on brandit encore des images de femmes à poil pour braver l’intégrisme religieux. Pourquoi les traiter encore d’enculés et les envoyer se faire foutre ? C’est toujours la même histoire d’oppression (et c’est parfaitement expliqué ici). Une des caractéristiques principales des intégrismes religieux c’est la soumission des femmes, alors si on veut les combattre, est-ce qu’on pourrait pas faire gaffe à l’idéologie que communiquent notre vocabulaire et nos images ?
On prône les femmes à poil mais j’ai pu lire ici et là « non merci pour vos prières, trouvez autre chose pour nous soutenir ». Mais pour prier non plus on n’a pas besoin de religion, d’église, d’institution ni de dieu. On peut très bien prier ET penser, prier ET agir. Prier, ça n’est jamais qu’accorder un moment où on s’arrête de faire son business habituel ou de cogiter, pour formuler des bonnes intentions dans sa tête et dans son cœur. Même pas besoin de demander quelque chose à une force supérieure ! Prendre le temps de formuler des bonnes intentions, c’est tout. Ça peut même se faire un buvant un verre.
Chez les kappa du folklore japonais, ce creux en haut du crâne se situe niveau du chakra sahasrâra. C’est le 7e de ces points d’énergie, centres spirituels du corps issus de la philosophie hindoue et repris par de nombreux autres philosophies et par la médecine orientale. Le chakra coronal est celui de la conscience collective et du mieux être avec soi et ne peut s’ouvrir qu’après un long travail sur les autres chakras. Mais lorsqu’il s’épanouit chez une personne, son rayonnement profite à tous ceux qui l’entourent.
Jamais 7e le chakra de ces djihadistes ne pourra s’ouvrir, avec ce qu’on leur a déversé dans le crâne…
Les sens de ce vieux folklore et de la philosophie hindoue se télescopent et me parlent beaucoup. Je ressens leur vérité, ils me donnent des concepts pour penser ce qui m’arrive dans la vie et pour avoir des moyens d’avancer dans le sens que je choisis. Mais chacun élit les symboles ou les pratiques qui les aident à donner du sens à leur vie.
Ainsi, sur la page Facebook de Humans of New York, on peut trouver de nombreuses histoires d’être humains qui disent quelque chose du sens de leur vie. Ces photos et leur légendes me rappellent fréquemment que l’on a bien plus de points communs que de différences : on meurt tous un jour, on perd des être chers, on souffre, on connaît la peur, mais aussi la joie, l’amour et l’espoir. Ça semble très banal, mais qui arrive à s’en souvenir dans la file d’attente de la Poste ? J’essaie de laisser ce sentiment commun d’humanité me guider dans mes choix.
Les kappa, les chakras, les dieux, les mythes, les rites, les religions, les histoires, les œuvres d’Art… Ce sont des fabrications humaines qui nous servent à parler de nous, à comprendre comment supporter les abîmes existentielles auxquelles nous sommes tous confrontés. J’ai bien l’intention d’aller y piocher les petits trésors de concepts qui me feront du bien sans emmerder les autres. Je n’ai même pas besoin de croire en quelque chose, ni d’avoir la foi. Je cherche par contre à avoir une réponse un peu chouette quand je me demanderai dans mes derniers instants ce que j’ai fait de ma vie.
Ha si ! Je crois en un truc : que si on laisse moins de place à l’absurdité dans notre existence, qu’on redonne individuellement et petit à petit du sens dans tout ce qu’on fait, nos boulots, nos loisirs, nos achats, nos amours, notre militantisme… Ben à force on vivra mieux, on vivra mieux ensemble, et ça laissera moins de place à des manipulateurs sans scrupules pour remplir la tête des djihadistes avec de l’eau ou autre chose de bien plus sale.