Pour mon projet de film documentaire, j’ai contacté Corinne Morel-Darleux, femme politique et autrice du livre Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce (dont j’aimerais également parler ici tant il m’a plu !). Entre autres choses très nourrissantes, elle m’a conseillé de lire Encore vivant, le livre de Pierre Souchon. Je me souvenais des chroniques politico-truculentes de ce journaliste dans « Fakir » (allez donc en découvrir ici), aussi j’ai suivi le conseil de Corinne et j’ai emprunté le livre dans ma bibliothèque. La date de retour était arrivée sans que j’aie pris le temps de le lire, mais par le coup du destin que vous connaissez le confinement est arrivé, prolongeant d’autant la possibilité de le garder sous le nez sans le lire… Après un mois de réclusion, un dimanche d’oisiveté sur mon canapé m’a finalement poussée à lire les premières pages. Quelques heures plus tard, j’en avais dévoré la majorité et j’arrêtais à regret ma lecture pour manger autre chose que des mots.
Ce que je dis, c’est qu’il faut tout le temps extraire l’humanité. Il y en a tout le temps, même si elle est loin, brisée, incertaine – mais elle luit à chaque fois, au bout, au fond du fond. Il faut la traquer, la chercher toujours, l’obliger à se dire, à se découvrir. Et ne retenir qu’elle, et la garder comme un trésor, et l’annoncer. Sinon on est de la charogne, de la saloperie, du vautré dans le pourri.
Pierre Souchon, Encore Vivant
Dès les premiers instants de ma lecture, j’ai compris pourquoi Corinne m’avait suggéré cet ouvrage : Pierre Souchon a mis en exergue la citation d’un historien, Eric Hobsbawm, qui fait totalement écho à mon projet documentaire : « Le changement social le plus spectaculaire et le plus lourd de conséquences de la seconde moitié de ce siècle, celui qui nous coupe à jamais du monde passé, c’est la mort de la paysannerie. »
Pourtant, après cette entrée en matière presque scientifique, on saisit vite en abordant le texte qu’il s’agit d’un récit personnel, autobiographique en réalité. C’est que le projet de ce livre est justement d’entremêler le personnel et le politique, le psychiatrique et le sociologique. Pierre Souchon a dû aller chercher au fond de lui-même autant que dans l’histoire de ses aïeux pour survivre à la grave crise existentielle l’ayant conduit à l’hôpital psychiatrique. La dilution des frontières entre les sphères personnelles et politique est évidemment pour me plaire, car je crois moi aussi que nos nœuds profonds et cachés peuvent être liés à l’histoire collective, et que les allers-retours entre les différents niveaux sont à faire en permanence pour qui veut comprendre et agir. Et puis bien sûr, je crois comme l’auteur que nous n’avons pas fini de mesurer les dégâts de la destruction du lien entre les humains et la nature, telle qu’il existait pendant des siècles dans la paysannerie traditionnelle de par le monde.
Je repense encore parfois à ce livre qui donne à ressentir des gouffres obscurs comme des sommets lumineux et vice versa. On n’a pas les uns sans les autres.
Encore vivant de Pierre Souchon, publié en août 2017 aux éditions du Rouergue. 288p. 19,80€. Lien vers le site de l’éditeur.