Durant les premières années de ma vie, j’ai souvenir que ma date de naissance entraînait la légère contrariété de ne pas pouvoir fêter mon anniversaire en compagnie de mes camarades de classe, avec le gâteau et les bonbons (et l’attention des autres). Mais mes parents organisaient de si jolies fêtes avec copains/copines et famille que je me suis toujours fait une grande joie de cette célébration. Je me souviens des super jeux que vous organisiez (dont un jeu de piste dans toute la ville !!), merci à vous, papa & maman ♥
Jeune adulte, j’ai fini par trouver pratique que le 1er mai soit férié, pour pouvoir me coucher tard le 30 avril… Je n’ai pas pris l’habitude d’aller aux manifestations de ce jour-là. Je ne me sentais pas concernée par la représentation que j’en avais, par ce qui m’avait été présenté comme le jour de la « fête du Travail » : bof. Puis j’ai appris que c’était sous le régime de Vichy que le 1er mai était devenu une célébration de la notion de travail, mais qu’auparavant on fêtait ce jour-là les travailleurs et les travailleuses. Ce sens-là me plut déjà davantage ! Il me donnait la possibilité de prendre du recul par rapport à une institution rigide et lointaine. Entre fêter le travail et fêter les travailleurs/les travailleuses, quelle différence cela fait-il ?
Ces derniers temps, j’ai beaucoup bougé par rapport à la notion de « travail », je tente de forger la mienne. J’arrive de plus en plus difficilement à supporter la binarité soi-disant hermétique entre « vie privée » et « vie professionnelle », car mon cœur aspire à vivre, lutter, aimer, travailler au même endroit, avec les mêmes personnes et sans porter de masque. Mais bien sûr je ne vis pas dans le monde auquel j’aspire. J’ai donc fait des choix de « travail » me permettant de supporter au mieux les dissonances cognitives, inévitables puisque mes idéaux se heurtent fréquemment aux idéaux vainqueurs (compétition, performance, contrôle) et opposés aux miens. Je jongle entre différentes activités, espérant garder un équilibre dans la cohérence avec mes valeurs, le sentiment d’utilité, les rencontres, la stimulation intellectuelle, la reconnaissance et une rémunération juste.
Je ne réserve pas la notion de « travail » à l’activité concernée par une transaction monétaire. Pour cette partie-là, je parle de mon « travail salarié ». Est travail tout ce qui me fait sentir qu’il y a rencontre entre moi et une matière (physique ou non), et qu’au sortir de cette rencontre moi comme la matière sommes transformés.
Dans cette acception personnelle, j’aime travailler ! Ce n’est pas quelque chose qui me vide de mon énergie, car je donne autant que je reçois. Je reçois notamment du sens : je ressens où est ma place lorsque je suis plongée dans ce travail. Je travaille donc souvent les soirs et week-ends. Je planifie des vacances pour travailler. Et parfois, pour que « ça travaille », il est important que je puisse ne rien faire de précis.
Je vois bien que le travail tel qu’il est organisé aujourd’hui est une aliénation tragique pour une majorité d’humains, j’aimerais que cela soit différent. Que chacun et chacune puisse choisir la façon dont il/elle a besoin ou envie d’occuper son temps de vie sur cette terre, comme j’ai le luxe, dans une certaine mesure, de pouvoir le faire.
Tout récemment, j’ai appris qu’il y avait également dans les ondes de l’histoire du 1er mai le souvenir de la répression meurtrière de Haymarket. Le 1er mai 1886, des ouvriers se sont réunis à Chicago pour réclamer la journée de 8h et la répression leur est tombée dessus. Des manifestants et un policier sont morts, des leaders socialistes et anarchistes ont été pendus pour que les bonnes gens vivent dans la peur de se rebeller.
« Il n’y a qu’un pas de la République à l’anarchie. C’est la loi qui subit ici son procès en même temps que l’anarchisme. Ces huit hommes ont été choisis parce qu’ils sont des meneurs. Ils ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivent. Messieurs du jury : condamnez ces hommes, faites d’eux un exemple, faites-les pendre et vous sauverez nos institutions et notre société. C’est vous qui déciderez si nous allons faire ce pas vers l’anarchie, ou non. »
Le procureur Julius Grinnel lors de ses instructions au jury pendant le procès des leaders de Haymarket Square
Mais grâce à celles et ceux qui n’ont pas voulu laisser la peur gagner, la signification du 1er mai a fini par arriver jusqu’à moi et j’ai fini par adhérer à cette tradition militante ! Je prends maintenant plaisir à me joindre aux manifestations joyeuses de ce jour symbolique.
Enfin, j’ai appris il y a quelques heures grâce à l’amie Camille que la nuit de ma naissance était aussi celle d’une fête spirituelle « célébrée clandestinement dans toute l’Europe depuis des temps reculés » et « identifiée au sabbat des sorcières » : la Nuit de Walpurgis ! Mazette, j’adore, je prends ! Il s’agissait au départ d’un rituel de fin de l’hiver et de passage aux beaux jours, que l’Église a discrédité en y associant des créatures diaboliques. J’adore aller chercher sous les couches des civilisations pour retrouver des sens cachés et bien sûr, sorcières et rituels de changements de saisons sont des significations auxquelles je suis enchantée d’être associée symboliquement.
Exit la « fête du travail » et l’esprit de Vichy, bonjour la fête de travailleurs et des travailleuses, bonjour ma propre notion du travail, bonjour l’anarchisme et la spiritualité païenne. J’estime qu’on a le droit et le besoin de se choisir ses propres symboles, et j’embrasse d’autant plus nouvelles ces significations qu’elles me semblent autant de reconnexions. Comme si je me souvenais d’évidences que j’avais oubliées.
Chaque année qui passe me rappelle que j’ai un temps limité dans cette vie, mais cela me convient si je continue à me connecter à ce qui est important pour moi.