Un truc chouette chez moi, c’est que j’ai souvent des idées créatives. Un truc moins chouette, c’est que je n’ai quasiment aucune capacité de contrôle sur l’avancée de mes projets personnels. Je veux dire que dans ce domaine, mon seul moteur peut-être le désir, pas la contrainte. Si je n’ai pas d’engagement envers quelqu’un, s’il n’y pas une opportunité proche à saisir, je ne suis capable de me mettre au travail qu’en étant connectée à mon envie profonde de voir naître un projet. Et bien sûr, cette envie peut fluctuer ou être recouverte par d’autres envies. L’ordre des priorités est mouvant. Je me retrouve donc comme une sorte de jardinière sans pouvoir de décision sur ce qui pousse ou sur la façon dont ça pousse, mais forcée d’affûter mon attention envers la vie propre de mes plantes/projets. J’apprends à m’y faire ! Et plus que ça : je constate que cette approche est plus florissante que les entreprises de planification tentées jusqu’alors.
C’est en partie pour cela que je n’ai pas publié beaucoup sur ce site depuis sa mise en ligne fin avril dernier. Je l’ai créé pour avoir mon petit espace d’expression à moi dans le vaste monde, hors des réseaux sociaux. Ma tendance spontanée est d’avoir envie de ne publier que des textes présentant une réflexion un peu aboutie sur un sujet. Par exemple, depuis environ un mois, je tourne autour du concept de « privilège » que j’ai envie de raccrocher à l’écologie et à la décroissance. Mais comme j’ai d’autres envies prioritaires (et des échéances qui m’ont poussée à bûcher sur autre chose !), je n’ai pas pris le temps d’écrire ce texte. Pour filer la métaphore : cette plante est là dans le jardin, déjà bien grande, mais les fruits ne sont pas prêts à être cueillis.
Et alors, rien d’autre à raconter ? J’écris pourtant très souvent pour moi-même. Je me suis souvenue il y a quelques jours que j’avais aussi l’ambition d’assumer ici une vulnérabilité en partageant les coulisses de mes projets ou mes cheminements personnels. Il s’agit là d’une petite plante qui était dans un coin de mon jardin et qui n’a pas poussé faute d’arrosage… Alors au lieu d’écrire seulement pour moi dans mon journal, je vais parfois partager quelques bribes de ce qui me traverse. Bien sûr je n’arriverai pas à publier des textes aussi « jetés » que s’ils n’étaient lus que par moi ! Et encore, je ne me relis que rarement dans ce journal, le but est seulement de clarifier mes idées en passant par l’écrit… Mais je vais essayer d’être la plus authentique possible.
J’ai l’impression de guérir doucement mais sûrement, ce qui me permet de développer des capacités d’amour et de créativité. Un des trucs précieux c’est que j’apprends à ressentir souvent de la gratitude et de la bienveillance, y compris pour moi. Mais bien sûr tout ça est encore en travail et je n’ai pas entièrement perdu le réflexe de vouloir me changer. Exemple récent : le sommeil. J’ai de gros besoins en sommeil… Au point que ça me désespère. Je n’arrive pas à me faire à l’idée que si je dors moins de 8 ou 9h, je suis en carence de sommeil. J’aimerais tellement réussir à me lever suffisamment tôt pour faire un peu de yoga, pour préparer tranquillement mon repas du midi, pour faire un tour au jardin ! Comme je termine tard le travail j’ai souvent la possibilité de commencer assez tard, mais j’ai beau mettre un réveil un peu plus tôt afin d’avoir du temps pour moi, c’est niet : je reste dans les vapes jusqu’à l’heure max me permettant d’être à l’heure au boulot. Et les jours de congé, si je n’ai pas d’impératif : mon sang reste lave collante et lourde, mes paupières ensablées, jusqu’à ce que j’aie mon quota d’heures. Il semble que ma volonté ne soit pas un levier suffisant pour lutter contre cette force d’attraction.
Pourtant, régulièrement, je rumine à nouveau des velléités de dompter cet état de fait ! Surtout si je pense à toutes ces heures où j’aurais pu vivre au lieu de dormir, moi qui ai envie de faire tant de choses ! Enfer et damnation, que ne suis-je née différente ?! Bien sûr, en me focalisant là-dessus, je continue à appréhender cette question dans un sens qui n’est pas constructif… Je me fous de la notion de vrai/faux ou de bon/mauvais mais je vois bien que certaines façons de concevoir une situation conduisent à une impasse là où d’autres conduisent à une amélioration. Il y a donc un petit deuil à faire et un nouveau chemin à trouver.
Un ami m’a dit : « c’est l’ego qui ambitionne des choses impossibles par rapport à tes besoins » et je crois qu’il a raison. Il m’a encouragée à accepter ces impératifs de sommeil comme une base non négociable. Alors comme je l’ai fait pour d’autres aspects de ma vie, plutôt que de ruminer sur mon incapacité à me lever plus tôt, plutôt que d’essayer de me changer comme si quelque chose clochait chez moi, je me focalise sur les aspects positifs : la chance de pouvoir dormir autant (pensée pour les insomniaques et pour les gens que leurs contraintes de vie empêchent de dormir autant qu’ils en auraient besoin). La cohérence et la chance d’avoir trouvé un job où je peux souvent dormir tard. La chance d’avoir un corps qui me force à respecter ses besoins, me donnant ainsi peut-être plus de chances d’être en bonne santé. Le choix de ne pas avoir d’enfants, fait pour d’autres raisons, mais qui m’amène le bénéfice secondaire d’avoir des plages de sommeil moins interrompues. Et depuis ce samedi, j’ajoute comme bénéfice : une accès particulier à l’espace de mes rêves.
Je me souviens souvent de mes rêves. Si c’est parfois instructif, ça n’est pas toujours agréable d’être imprégnée de ce qui se passe dans mon inconscient, endroit pas toujours très fréquentable. Ça c’est pour le sommeil à proprement parler, auquel s’ajoute fréquemment l’impression d’être vampirisée par l’état de demi-sommeil dans lequel je peux baigner pendant des heures le matin. Si j’ouvre les yeux, je suis éveillée, je peux répondre à des questions de manière sensée. Si je referme les yeux, je suis dans ce que j’appelle « l’Entre-Deux-Mondes ». Mon esprit passe d’une idée à une autre sans cohérence apparente, j’ai comme un hublot sur le bordel des boyaux de ma tête pendant quelques instants intercalés de sommeil où je ne me rends plus compte de rien. C’est comme si l’état de veille et l’état de rêve cohabitaient en moi et que j’oscillais sans force de l’un à l’autre. Je suis coincée dans le sas de la salle de cinéma où sont projetés mes rêves, ma volonté essayant de me tirer vers le grand jour et d’autres parties de moi me poussant à m’asseoir pour de bon devant le film. J’ai parfois vécu cela comme une paralysie angoissante. Et si je regardais cela par une autre lorgnette ?
D’une part, peut-être que si je respecte davantage mes besoins en sommeil, je ne vivrai plus ces moments qui me semblent nés du tiraillement décrit plus haut entre éveil et rêve. Et d’autre part, je peux aussi célébrer cet accès privilégié à l’Entre-Deux-Mondes… Moi qui ai besoin de rester dans une forme de contrôle lorsque j’écris, cela me rend l’écriture poétique difficile d’accès. Je m’y essaie en écrivant de temps en temps des chansons en anglais pour mon groupe, mais je crois que c’est vraiment la contrainte et l’engagement envers les copains qui me permettent d’écrire quelque chose de chantable. Il me semble que l’Entre-Deux-Mondes est l’un des espaces de la poésie, un endroit de connexions impulsives et secrètes entre les idées, les images ! Au lieu de subir ces moments, je pourrais au contraire apprendre à entrer et sortir de l’Entre-Deux-Mondes de manière choisie afin que l’état de conscience propre à cet espace nourrisse mon écriture.
Accepter mes particularités plutôt que vouloir me changer, cultiver la gratitude plutôt que la frustration : voilà un mode de pensée qui m’a apporté des fruits intéressants et que je vais tâcher d’appliquer aussi au sommeil.