J’ai écrit cet article lundi 29 mars au soir et je le publie seulement mercredi 31, à cause de problèmes techniques rencontrés sur mon site. Entretemps, j’ai eu envie d’ajouter un paragraphe, signalé dans le texte par la mention « edit »….
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Deux soirs que je me laisse piéger par le changement d’heure… Il est déjà tard alors que je voulais me coucher tôt pour récupérer de mon aller-retour du week-end. J’ai fait ma petite balade habituelle avant de dîner et de me mettre à écrire : toujours le même tour, mais un paysage différent selon l’heure du jour, la saison, la hauteur de la Loire.
J’écoute Michael Rault à fond les ballons. Pourquoi n’ai-je jamais entendu parler de ce gars avant ? Mystère.
Edit : le lendemain soir j’ai aussi écouté Michael Rault. Mon compagnon, revenu d’un court passage à Paris, a dit « ha c’est chouette de l’entendre, on ne pense jamais à l’écouter depuis qu’on l’a vu en concert ! ». Je suis restée interdite un instant, mais effectivement nous l’avions vu en décembre 2015 à Stereolux. J’ai retrouvé la date grâce à ce post de blog d’Hervé Tanquerelle, où l’on peut voir les croquis réalisés par lui dans le cadre de Papiers sonores (un délicieux deal d’un autre temps où Stereolux filait des places de concert à quelques dessinateurs pour qu’ils puissent croquer les artistes sur scène). Au temps pour ma mémoire défaillante… On peut aussi regarder les choses sous un autre angle : une partie de moi se souvenait de ce super concert vécu avec les copains, et sans que j’en aie conscience cela faisait partie de mon plaisir à le réécouter.
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La fenêtre de la cuisine est encore ouverte malgré la nuit. C’est chouette le printemps, ça me donne envie de plus de légèreté. Ça grince quand même un peu, qu’il fasse déjà si chaud, non ? Je suppose que c’est ça aussi le nouveau régime climatique : se demander où on en est de ce foutu dérèglement. Et je vais avouer ma grande terreur, en embuscade sur ce thème-là : et si un jour le printemps n’arrivait pas ? On sortirait de l’hiver, on attendrait que la sève monte, que les bourgeons poussent, que les fleurs s’ouvrent, et… rien.
Je ferai peut-être une histoire un jour, avec cette peur. Me rappeler que ce n’est qu’une histoire dans ma tête, ça m’aide à la faire partir. Ces jours-ci il est d’autant plus facile de jouer avec cette idée que les arbres sont encore nus, malgré la chaleur, malgré la date. Ils l’étaient aussi à Plabennec, où je suis allée ce week-end en repérages pour mon projet de documentaire.
L’une des problématiques qui se pose en ce moment (et depuis plusieurs mois déjà), c’est comment construire de la confiance avec des paysans conventionnels, afin que certains acceptent d’être dans un film. Le mot « confiance » a la même racine que le mot « foi », et c’est bien de cela qu’il s’agit. Pour avancer sur ce projet ambitieux, j’ai établi une sorte de confiance magique dans moi-même : je marche sur un fil, je regarde devant, j’avance sans regarder en bas. Par moments, j’oublie cette confiance et je ne sais plus que faire de moi, je ne sais plus pourquoi je fais tout ça, je pense que je ne vais pas y arriver. Ça m’est arrivé encore samedi midi, au moment de me lancer dans ces repérages. Bizarre réflexe : je me suis maquillée. Je suppose que la coquetterie était un moyen rapide de convoquer un peu de confiance, de l’amorcer. Puis je me suis remise dans l’action : j’ai pris des notes, j’ai listé des trucs à faire, j’ai sorti la caméra et me suis filmée. J’étais à nouveau en équilibre sur le fil. Mais cette confiance que j’entretiens, je ne sais pas encore comment la transmettre à ces agriculteurs et agricultrices qui ont peur de témoigner devant la caméra et de se sentir ensuite trahis, comme l’ont été certains de leurs collègues. Les coopératives ne se privent pas de répandre ces témoignages de “trahison”, pour allumer des contre-feux suite à des reportages abîmant leur image. Le contexte ne m’est pas favorable, sur ce point. Il faut que je trouve mon chemin jusqu’à eux. Petit à petit je comprends mieux l’identité que je porte, apparemment, comme un étendard. Mon nom de famille (connue à Plab comme “de gauche”), mes vêtements, mes bijoux, mes tatouages, mon maquillage… Il vaut sans doute mieux que j’assume tout ça en conscience plutôt que de lutter contre.
J’ai visité une porcherie samedi. Cela suivait plus de 2h de discussion très enrichissantes avec le couple d’agriculteurs. Lorsque je suis entrée dans la grande pièce à l’odeur saturée, j’étais totalement en empathie avec les gens qui travaillaient là, qui venaient de m’expliquer qu’ils avaient une relation avec leurs bêtes, mais trouvaient exagéré de plaquer sur les porcs et les vaches des sentiments humains. Je regardais les animaux sans arrière-pensée, comme un ensemble où chacun est à sa place, sous l’angle du travailleur que j’accompagnais dans la porcherie pendant qu’il les nourrissait. Puis j’ai marché toute seule autour des enclos individuels, et en regardant leurs hures une à une (oui la tête de cochon s’appelle la hure, je sais cela grâce à un jeu de mots dans Astérix !), j’ai perçu un bref instant leurs cris et leurs regards comme un appel qui m’était destiné, me demandant de les libérer de leur triste destin… J’ai balayé cette pensée, pour continuer la visite en restant en empathie avec ces hôtes qui m’avaient généreusement ouverts les portes de leur exploitation. Je n’ai pas eu à nouveau de pensée par rapport à l’éventuelle détresse des animaux. Et je suis consciente qu’il s’agissait là de mes pensées, et pas réellement de cochons qui voulaient que je les libère ! Mais c’est un bon exemple du fossé pouvant exister entre deux regards que l’on peut poser sur la même chose…. Comme on le constate souvent en ce moment, certains points de vue sont malheureusement inconciliables. Pour ma part, je suis radicale sur certains sujets, mais je ne pense pas que tout le monde devrait adopter les mêmes idées que moi. Je ne pense même pas avoir les « bonnes idées ». J’y crois suffisamment pour essayer de les voir advenir, je demande à ce qu’on me respecte pour ça comme je respecte les gens qui se battent pour leurs idées à eux. Je suis un peu paniquée par l’idée que les opinions des uns finissent pas nier l’identité des autres au point de voir en eux une menace pour l’intégrité (et bien sûr je ne sais pas trop comment résoudre le fameux paradoxe de la tolérance). Alors c’est avec l’espoir gnagnan qu’on pourrait vivre ensemble malgré nos désaccords que je tente de fabriquer ce film.
En rentrant du Finistère dimanche soir, devant moi j’avais le ciel bleu foncé où brillait la pleine lune, tandis que dans le rétroviseur le soleil couchant enflammait l’horizon jaune, rouge, orangé, violet. C’était incroyable. Ce lundi, je suis de retour chez moi avec des chouettes expérimentations dans ma besace, mais surtout des choses “in progress”, et ça n’est pas évident à gérer.
Pour ma BD jeunesse, je pense que je dois réécrire un peu mon personnage, le rendre plus accrocheur, mais je me dis : dois-je plutôt me concentrer sur l’histoire que j’ai envie de raconter, ou sur l’empathie que je peux susciter auprès des lecteurs ? Je crois que j’ai une vision trop binaire guidée par des craintes, il faut que je rentre dans le concret de cette réécriture pour jouer avec des curseurs plutôt que de m’imaginer (et redouter) que tout ça est aussi simpliste.
Je me sens un peu fatiguée par ces questionnements sur mes projets actuels. Cela demande tellement de patience et de confiance ! Il faut une dose de déraison pour se lancer dans ce genre de projets. Mais pour avoir des enfants ou acheter une maison en s’endettant sur 30 ans, il faut aussi une dose de déraison, après tout… Moi, c’est cette folie que j’ai choisie et elle me plaît bien, malgré les obstacles.