Pour célébrer le nouvel an, cette année nous nous sommes organisés pour aller passer quelques jours sur l’île d’Ouessant, au large du Finistère nord.
Depuis quelques mois, je vais courir en écoutant des livres audio, j’adore ça. Sur Ouessant, j’écoutais Là où chantent les écrevisses de Delia Owens. L’héroïne de ce roman vit seule dans les marais de Caroline du Nord et, entendant de ses aventures, je me projetais rêveusement dans le marais qui l’environne, la flore et la faune avec lesquels elle entretien des relations intimes. Je superposais sur le roman le paysage d’Ouessant, les oiseaux, la lande, la côte. Le 1er janvier, j’ai enchaîné cette balade avec une baignade dans la mer, motivée par les exploits de mes tantes, cousines et amies dont j’avais vu ces derniers jours des photos et vidéos de baignades hivernales. Entrant dans l’eau, respirant lentement pour calmer mon corps affolé par le froid, je constatai que mes pieds étaient cachés par des algues noires, trouble fond qui a fait remonter une peur archaïque de “Ce qui est caché dans l’eau”. Avant d’être entièrement dans l’eau fraîche, j’ai aperçu une grosse tête grise à quelques mètres de moi : un phoque ! Il était tourné vers moi comme j’étais tournée vers lui, me laissant imaginer qu’il était aussi curieux de moi que je l’étais de lui ! Dès que je me relevais ou faisais des gestes amples, il replongeait dans l’eau subitement et moi j’éclatais de rire et de surprise ! Avec ce roman je me demandais comment être aussi proche de la nature que Kya, l’héroïne. Avec cette rencontre j’ai eu une forme de réponse : j’ai eu le courage de m’immerger dans l’eau à 12° et j’en ai été récompensée… Heureuse façon de commencer l’année.
Lors de ces balades sur l’île, je me suis beaucoup exclamée, maladroitement et pour aller vite : “ça me fait des émotions !”. Moi qui aime les mots, j’en manquais pour décrire ce que la proximité de ces paysages et ces animaux produisait chez moi. Comme si je les portais dans mon ventre, comme si je sentais dans mon corps le vol des goélands, la lumière dorée de décembre, les gros corbeaux sur les galets, les rochers aux formes fantastiques, le cygne noir au bec rouge sorti du marécage, les moutons noirs et blancs dans les champs ceints de murets en pierre.
Je manquais de mots mais je me sentais aussi frustrée à l’idée que ces images incroyables allaient devenir des souvenirs qui allaient probablement se volatiliser. Je voulais être photographe pour savoir ramener une image aussi parfaite que ce que j’avais sous les yeux. Comme souvent, la frustration a révélé un désir qui lui-même, demandant à être satisfait d’une manière ou d’une autre, a généré une idée. Nous étions à la Pointe du Pern lorsque j’ai vu le paysage le plus spectaculaire. Sans appareil photo, sans même mon téléphone comme pis aller, j’ai pensé que les mots aussi pouvaient construire des images.
Je peux au moins essayer.
Nous allons à l’extrémité de la pointe la plus à l’ouest sur l’île la plus à l’ouest de la France métropolitaine. En arrivant à vélo au bout du bout, je sens avant de la voir la présence de la mer de tous côtés. Nous laissons les vélos dans l’herbe, aux pieds d’une énorme masse de granit découpé qui nous masque l’eau.
Des moutons à la toison ondulée paissent librement dans la pente douce et grasse qui descend entre le rocher massif et la grève de galets. Côtoyant le paisible troupeau, nous sommes étrangement à l’abri du vent et face à nous c’est un déchaînement. Les vagues bleu clair et blanches d’écume s’éclatent sur les rochers verticaux. Parfois pour regarder le chemin je quitte la mer des yeux, toujours à regret, et je crois entendre le tonnerre. Il me faut tourner le regard assez vite si je veux voir la cause de ce bruit sourd : une vague plus forte et plus haute que les autres qui se fracasse sur un rocher et dont la crête éclabousse glorieusement en gerbes blanches.
Le temps que nous fassions le tour, les moutons ont changé de lieu de pâturage. Non que la pointe soit vaste, mais nous sommes lents car nous avons du mal à détacher nos yeux, tous nos sens, de ces sensations hypnotiques. Nous finissons par nous rassembler, un peu sonnés. La disparition prochaine du soleil nous oblige à reprendre nos vélos pour ne pas nous laisser surprendre par la nuit. Une fois assise au chaud devant un lait au chocolat, ma tête tangue encore de l’impression d’avoir des vagues qui éclatent entre mes deux oreilles.
Je vous souhaite une très belle année 2022, pleine de beautés que vous aurez envie de saisir en dessin, en photo, en musique ou en mots.