L’année dernière, lorsque j’ai proposé à mon compagnon de partir en vacances à la mi-août, il a hésité. Il ne serait pas là pour récolter les tomates dont il s’était tant occupé, ni pour aider les plantations du jardin à supporter les grandes chaleurs. Je me suis sentie partagée : contrariée à l’idée de rester chez nous plutôt que de partir en vacances aux dates souhaitées, et un peu fière qu’il prenne autant à cœur la vie des plantes de notre jardin. Pour le moment je me considère comme quelqu’un dont l’attention n’est pas assez constante pour garder en vie des plantes dont j’ai la responsabilité, aussi je suis très heureuse (et, pour tout dire, soulagée), que mon conjoint soit devenu en à peine 2 ans un jardinier passionné. Nous sommes tout de même partis en vacances une semaine à la mi-août.
Lui est végétarien, je suis pescetarienne*, et nous mangeons beaucoup d’œufs (non mais vraiment BEAUCOUP), moyen facile et délicieux de consommer tous les acides aminés nécessaires. Mes parents ainsi qu’une famille de copains habitant près de chez nous ont des poules dans leur jardin, du coup c’est un sujet de discussion fréquent et qui nous intéresse, ce qui a fait naître l’envie d’en avoir nous aussi.
Mais une contrainte fait encore obstacle à ce jour : lorsque nous nous absentons de la maison, il faudrait toujours trouver quelqu’un pour les nourrir, pour les sortir le matin et les rentrer le soir. Nous vivons avec un chat, que nous faisons nourrir par nos sympathiques voisin·e·s lorsque nous partons quelques jours. Mais si nous avons aussi des poules, cela impliquerait que les tâches s’accumulent pour les personnes qui nous aident, ou alors qu’elles soient réparties entre davantage de personnes. Pour l’instant, cela nous a empêchés d’aller plus avant côté poupoules. Vous savez ce qu’on dit : « it takes a village » ! Ou alors c’est pour autre chose ? Hum…
L’un des sujets qui sous-tendent mon projet de documentaire est le chassé-croisé entre les gens qui comme moi ont des rêves de retour à la terre (vie rurale, localisme voire communalisme, permaculture, sobriété) et les agriculteurices confronté·e·s chaque jour à cette terre, qui souvent souffrent de se sentir seul·e·s, fatigué·e·s, accusé·e·s de polluer les sols et de maltraiter les bêtes.
Depuis 2018, j’en rencontre de temps en temps pour mon film et je me renseigne sur leurs conditions de vie. Dans mon expérience personnelle, je n’ai eu qu’un minuscule aperçu de ce que ce serait d’avoir la responsabilité du vivant non-humain et… je ne m’en suis pas sentie capable. Mais après avoir rechigné à l’idée de ne pas partir en vacances à cause du jardin ou d’hypothétiques poules, je me suis rendue compte, pas intellectuellement mais émotionnellement, de quelque chose que je ne voyais pas. C’est ça que vivent les agriculteurices, tout le temps, multiplié par 10000, sauf qu’iels ne peuvent pas renoncer. Iels ne peuvent pas facilement s’absenter ni même être temporairement insouciant·e·s, sinon les plantes et les animaux dont iels ont la responsabilité peuvent mourir. Je peux imaginer que c’est une des raisons qui les poussent à aimer et être fier·e·s de leur métier. Mais je suppose que ça peut aussi devenir une charge, surtout dans la mesure où elle ne peut être déposée. Selon des chiffres de l’État publiés en 2011, 51% du territoire français est occupé par des activités agricoles. Nous laissons la responsabilité de ces sols et de la vie qu’il y a dessus à cette corporation, pour le meilleur et pour le pire.
Depuis cette prise de conscience, petite mais frappante, je rêve d’un monde où tout le monde partagerait cette responsabilité, par exemple en aidant les paysan·ne·s à prendre des vacances grâce à des remplacements par des bénévoles formé·e·s, des gens comme vous et moi. À part en créant des histoires pour partager ce rêve ou en militant pour des utopies allant dans le même sens, je n’identifie pas de levier personnel pour rendre ce rêve réel. Mais j’aimerais progresser individuellement en apprenant à accepter moi aussi la responsabilité du vivant.
*L’outil de correction me propose de remplacer ce mot par « shakespearienne » : non non, c’est bien pescetarienne, ce qui veut dire que je mange du poisson et des fruits de mer, et pas d’autres animaux morts.