Lors de certaines sorties de course à pied, tout me pousse à m’arrêter et à rentrer chez moi. Dans ce cas l’effort consiste à boucler mon petit tour malgré la fatigue. À l’inverse, parfois je n’ai pas de difficulté particulière et je m’amuse alors à pencher un peu plus mon corps vers l’avant, ce qui me force à courir plus vite pour rétablir l’équilibre.
Je repense parfois à cet instant où je me déséquilibre volontairement. Dans la vie de tous les jours, j’ai souvent des déséquilibres : un coup de fatigue, une mauvaise nouvelle, une interaction frustrante, et mon équilibre émotionnel peut être rompu. Est-ce que comme dans la course j’ai une part de choix dans ce déséquilibre ? Dans ces moments, est-ce que je tombe ou est-ce que je me mets à courir plus vite ? Je me dis que ce qu’il me faut, c’est réussir à choisir ce que fais quand je sens que ça penche. Des options bien connues pour leur gratification rapides en dopamine sont : scroller sur les réseaux sociaux ou sur des médias d’infos, regarder des séries ou des vidéos sur YT, manger quelque chose de réconfortant, dormir, fumer une cigarette, boire de l’alcool. J’ai utilisé tout ou partie de ces tampons émotionnels, ça n’est pas grave du tout, ça m’a sans doute même bien aidée, mais maintenant je voudrais mieux choisir comment j’utilise mon temps.
Et ça m’est apparu récemment : ma manie à avoir beaucoup de projets en chantier est sans doute du même ressort. Je prends les devants des déséquilibres : au lieu de les subir je me penche vers l’avant pour aller plus vite vers un avenir que je me fabrique en rêve.
Je ne sais pas, ça n’est pas une réflexion tout à fait aboutie, plutôt des idées qui me trottent en tête… En tout cas c’est la façon que j’ai choisie pour introduire un point d’étape sur mon film. Car je trouve difficile de raconter où en est ce projet en faisant totale abstraction du contexte sanitaire, politique et écologique. Les choses sont difficiles, mais mes projets me portent au travers de cette période où il y a beaucoup de malades, de tensions, de peurs. Je m’investis dans ces projets, cet investissement apporte ses fruits, ça pousse, ça grandit, ça avance. Et la plupart du temps, je me sens bien.
Et donc, le film ! Je suis passée par des étapes très encourageantes l’année 2021 : la société de production Vivement Lundi, en la personne de la productrice Aurélie Angebault, a choisi de produire mon film. Nous travaillons depuis quelques mois en collaboration et avons régulièrement des échanges aussi constructifs que stimulants. Ensemble nous avons décroché deux aides au développement, l’une de la région Pays de la Loire, où je vis, et l’autre de la région Bretagne, où est située Vivement Lundi et où sera tourné la majorité du film.
Le but, avec cet argent, est de tourner un teaser. Il s’agira d’un montage de quelques minutes qui nous servira notamment à aller chercher financeurs et diffuseurs. Mais je perçois surtout cette petite forme comme un terrain pour faire mes premières armes en tant que réalisatrice*. Pour l’instant j’ai beaucoup écrit, fait pas mal de repérages, cogité à mes intentions. Maintenant j’ai besoin de me coltiner vraiment au cadre, aux placements, au montage, en bref, à la narration spécifique au cinéma. J’ai besoin d’expérimenter pour commencer à comprendre et pour espérer forger ma propre vision. Et bien sûr, j’ai besoin de voir si le réel va bien vouloir abonder dans le sens de mes intentions !
Cet article est aussi l’occasion de raconter le point de bascule principal qu’a connu le projet en 2021. C’était en février, j’étais en repérage à Plabennec et après plusieurs rencontres pour la plupart improvisées, j’ai filmé un copain pendant plus d’une heure. J’avais préparé mes questions (trop de questions) et malgré ma préparation, en fin d’entretien j’ai fini par aborder des sujets que j’avais originellement écartés. Je lui ai parlé d’effondrement, des limites planétaires (dont la 5e sur 9, fun fact, vient d’être franchie il y a quelques jours), de la terrible courbe des Meadows qui s’avère chaque jour un peu plus crédible. Lui m’a répondu qu’il préférait penser que le scénario du pire ne se produirait pas, qu’il en avait besoin pour garder de l’espoir. Évidemment, je respecte cela. Et avec cet échange je rentrais dans le dur de mon projet de film : si même les copains sensibilisés à l’écologie n’adhèrent pas à la même vision de l’avenir que moi, comment se préparer à l’avenir que je redoute, et sur le plan artistique, comment faire un film sur l’effondrement à Plabennec ?
J’étais contrariée d’avoir suscité ce léger malaise dans la discussion (ou ce que j’ai perçu comme tel) et perplexe pour la suite de mon projet. Le lendemain, une fois la table du repas du dimanche débarrassée chez mes parents, j’ai discuté longuement avec mon grand frère qui était aussi de passage, par hasard. Plus que l’écologie ou l’effondrement, mon sujet principal est la capacité/incapacité à changer nos vies face à un contexte sociétal. Au cours de la discussion, j’ai compris que je ne pouvais pas montrer les gens comme des insectes dans un microscope en attendant qu’ils changent pendant mon observation, il fallait que ce soit moi qui soit dans le microscope. Cela rejoint ma conviction selon laquelle il est absurde d’espérer que les autres aillent vers soi si on n’est pas prêt à faire le premier pas. C’est arrivé par surprise, comme une idée surgie à l’angle d’un tournant, mais évident car cohérent : c’est bien mon cheminement qui doit être au centre du film. J’ai un peu la trouille de m’exposer ainsi, mais je crois que ça en vaut la peine.
J’espère pouvoir vous montrer ce teaser avant l’été, et d’ici là je pense poster ici des bilans plus fréquents sur ce projet si important pour moi !
*J’ai mis du temps à oser dire et écrire que je travaillais sur un film sans précautions verbales, et là écrire ce mot, « réalisatrice », me déclenche de drôles de réactions, comme la pulsion de faire des notes en bas de page.