Je me demande s’il n’y a pas un petit quiproquo à mon sujet, rapport aux faits que je bosse en bibliothèque, que j’ai œuvré dans l’édition, que j’ai fait des livres et compte bien en faire d’autres… Malgré ces éléments tout à fait avérés attestant de ma bibliophilie, en fait, je ne lis pas beaucoup de livres. En tout cas, quand ils n’ont pas d’images ni de son… Je les touche, je les hume, je les feuillette, je les parcours, ça oui, tout le temps ! Mais de là à les lire en entier, il y a un effort de longue durée que je me montre trop rarement capable de fournir.
J’ai aimé lire tôt (merci l’habitus familial) et à l’école primaire je me souviens avoir passé pas mal de temps à la BCD, tantôt fourrée avec les copines, tantôt venue là en solo m’abriter de la zone de guerre de la cour de récré. Mais très vite, arrivée au collège, je me suis montrée à peu près incapable de lire des romans complets. D’autant plus s’ils étaient au programme scolaire, et ce même quand ils me faisaient très envie ! J’en ai tiré la capacité à relier ensemble des morceaux épars et à élaborer un discours sur ces fragments assemblés avec les moyens du bord. Très utile. Dans la même période, j’ai en quelque sorte privilégié ma vie sociale sur ma vie intérieure, mais aussi développé un léger trouble du sommeil. Mes souvenirs de cette époque ne sont pas très clairs, mais je crois avoir commencé là à être beaucoup trop souvent fatiguée, et dès que la tension de la journée retombait ou que je me mettais dans une posture de repos, mon corps s’éteignait. Basés sur l’image, les films, séries et bandes dessinées étaient plus immersifs, me demandaient moins d’investissement, et parvenaient donc à maintenir mon attention. Mais pour les romans et essais, c’était foutu.
Longtemps plus tard, des examens médicaux ont permis de poser le cocasse diagnostic suivant : “somnolence diurne pathologique d’origine idiopathique”, ce qui signifie que j’étais très fatiguée mais qu’on ne savait pas d’où ça venait. La difficulté à lire des livres sans images m’est restée et j’en ai été très frustrée. Je me suis beaucoup battue contre. Surtout en hypokhâgnes et khâgnes, mes classes de prépa littéraire !
Ça n’est pas terminé : je commence des tas de livres mais je suis très lente car je veille rarement assez longtemps pour lire une poignée de pages. Les distractions addictives fournies par les ordinateurs et les smartphones n’ont pas arrangé les choses. C’est un peu pathétique, surtout si on met ça face à mon très grand désir de lecture. En effet, mon esprit réclamant des infos, des idées et des plans d’attaque pour mes nombreux projets, mes envies de nouvelles lectures changent à un rythme que je suis incapable de suivre. C’est donc une petite victoire quand je termine de temps en temps un “vrai livre”, une fois par mois ou toutes les 6 semaines, à la louche.
Je ne me suis pas lancée dans ce texte pour m’apitoyer sur mon sort, mais pour raconter qu’aujourd’hui ça va beaucoup mieux, merci ! Je suis une bibliophile comblée grâce à trois choses :
- J’ai à peu près dompté le problème de sommeil, en tout cas j’arrive à me lever pour faire des trucs le matin avant le boulot, et j’essaie de me coucher pas trop tard, en général avec un bouquin. Ça n’avance toujours pas vite, mais ça n’est plus la seule source de découverte de livres, cf ci-dessous !
- On a créé en 2021 avec 2 amies lectrices le “Book Club Sandwich” et l’on se réunit toutes les 4 à 6 semaines pour partager nos lectures de romans, essais, BD. Entretemps on en discute par messages. Évidemment, inscrire une activité dans le cadre d’une chouette interaction sociale augmente considérablement la motivation de se dédier à ladite activité, comme faire du sport avec des copains !
- Enfin, je me suis mise à écouter des livres audio, et ça, ça tout changé. J’étais adepte du podcast (« peau de caste » comme le prononçait Philippe Meyer sur France Inter) depuis quelques années, ce qui rendait les temps de cuisine, de footing, de ménage ou de transport fort agréables. Mais là, motivée par le club de lecture et par la présence d’audiolivres dans la bibliothèque où je travaille, j’ai eu envie d’aller vers des formats plus longs que de courts épisodes. J’ai tout de suite accroché : depuis que je m’y suis mise, vers août dernier, j’ai écouté 12 livres audio. Quel bonheur, quelle richesse, enfin !
Je fus presque en larmes sur mon vélo (l’écouteur dans une oreille, l’autre attentive à l’environnement, bien sûr monsieur l’agent) à l’écoute de la voix de Jacques Gamblin, brisée par l’émotion, qui lisait le moment le plus déchirant de Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois. Je fus aussi horrifiée que réjouie, coupant des légumes tout en redoutant les crimes absurdes de Mathilde dans Le Serpent majuscule de Pierre Lemaître. Je fus édifiée durant les 3 heures de route vers le Finistère tandis que se déroulait la vie trépidante de Modesta, héroïne de L’Art de la joie de Goliarda Sapienza.
J’emprunte à la médiathèque les romans audio sur CD et je les copie sur mon PC puis sur mon téléphone. Et j’utilise aussi le service Audible pour la non-fiction, que ma bibliothèque ne propose pas encore en CD et que j’aime écouter de temps en temps. J’aimerais me passer d’Audible (service d’Amazon, on n’aime pas trop ces gens-là), mais pour l’instant je n’ai pas trouvé d’autre source.
J’ai l’impression que mon monde intérieur s’est merveilleusement décuplé depuis que je me suis mise à écouter des livres.
Je pense qu’un reliquat de l’ancienne frustration risque de persister gentiment, car peu de livres sont adaptés en audio et je suis à mon goût toujours trop lente à lire, mais j’avais déjà envie de célébrer cet embellissement de ma vie !
Ça vous dit ma sélection de mes préférés ?
Évidemment c’était une question rhétorique, aussi hypocrite que les “bis” à la fin des concerts. Voici ma sélection, de gré ou de force.
Romans
- Faillir être flingué de Céline Minard. Un roman choral dont les personnages inoubliables sont des protagonistes de la conquête de l’ouest américain. Un style qui permet de décrire avec autant de finesse le flux de pensée des personnages que les fluctuations du vent, du sable, des nuages.
- Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois. Le récit d’un homme emprisonné, revenant sur les principaux deuils et joies de sa vie, sur ce qui l’a conduit jusqu’à la sentence de 2 ans qu’il est en train de purger. Un roman qui permet de s’abreuver d’assez de beauté pour supporter les saletés de petits tyrans comme ceux qui ont fait basculer le héros dans la violence.
- Là où chantent les écrevisses de Delia Owens. Des années auprès de Kya, depuis son enfance presque seule dans les marais de Caroline du Nord, à l’âge adulte, lorsque son aura de liberté et de mystère attire l’attention et les ennuis. L’autrice était zoologiste avant de publier ce premier roman à 70 ans, et grâce à elle je rêve d’aller en barque dans ces marais, côtoyer les plantes et les animaux du monde de Kya, si magnifiquement décrits.
- Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie. Le parcours d’une Nigériane qui prend la décision, étonnante pour son entourage, de revenir vivre dans son pays d’origine après avoir vécu des années aux États-Unis. Un récit acéré sur les souffrances de l’émigration et la condition des Noirs aux États-Unis, tissé d’une mémorable histoire d’amour.
Non-fiction
J’ai trouvé utiles tous ceux que j’ai écoutés dernièrement et que j’avais choisis dans un but précis (plan d’attaque, comme dit plus haut). En voici la liste, à toutes fins utiles.
- Atomic habits, un rien peut tout changer, de James Clear. Comment mettre en place des habitudes qui au fur et à mesure du temps aident à faire ce qu’on a envie ou besoin de faire, sans se baser uniquement sur la volonté.
- Techniques de visualisation créatrice, de Shakti Gawain. Comment et pourquoi cultiver la rêverie, la projection, comme outils pour créer un terrain favorable à l’action et à la réalisation.
- Le Pouvoir du moment présent, d’Eckhart Tolle. Un classique du genre, où l’auteur raconte comment, après avoir sombré assez profondément dans la dépression, il a cessé de vivre en pensées dans le passé et dans le futur, a laissé tomber les attentes comme des branches mortes, pour trouver la joie dans le moment présent. Ce sont des découvertes qui changent la vie.
- Réussir grâce au minimalisme digital de Cal Newport. On aurait pu se passer du mot « réussir » dans le titre, mais bon, les USA, le développement personnel, le marketing, hum… L’auteur décrit de quelle façon certains outils numériques sont des pièges sciemment élaborés pour nous dépouiller de notre temps d’attention. Il propose surtout des stratégies concrètes pour faire cesser leur emprise, taclant au passage les vampires avides de la Silicon Valley.
- Sans alcool, de Claire Touzard. La journaliste décrit son arrêt complet de l’alcool, et analyse sa place dans sa vie et dans notre culture. Aussi intéressant que touchant, surtout quand on souhaite soi-même questionner sa relation à la dive bouteille.
Sur votre vélo ou à cheval, dans les mots, les images ou autre chose encore, je vous souhaite du bon temps avec les livres que vous aimez.