J’ai eu 40 ans récemment. En ce moment j’ai les cheveux longs et teints en blond. Je porte des trucs que je ne mettais jamais avant : une casquette, des baskets. Je me suis demandé : tiens, est-ce que je m’y suis mise pour paraître plus jeune ? Ou bien peut-être que casquette et baskets me vont bien seulement parce que que je n’ai plus l’air d’une jeune fille. Je ne sais pas pourquoi je mets une casquette et des baskets et ça n’a aucune importante, mais je suis sûre que le vieillissement rend des choses possibles.
Ce n’est pas l’idée que je m’en faisais, vu de loin.
Hier j’ai passé toute l’après-midi dans une sorte de festival en plein air. J’étais là pour soutenir des copains et copines qui travaillaient. Sur le stand en face du nôtre il y avait un type dont le visage m’était connu, sans que je puisse retrouver où je l’avais déjà vu. On s’est parlé, lui aussi pense qu’on se connaît mais ne retrouve pas non plus d’où. À ce jour et à ma grande frustration, je n’ai pas réussi à remettre son visage dans le contexte où je l’ai vu pour la première fois. Mais après avoir feuilleté dans mes souvenirs de ces 10 dernières années pour retrouver ce visage, je tire une intéressante conclusion : j’ai vécu plein de choses et je n’en garde pas tant que ça de souvenirs.
L’envie d’écrire ici pointe fréquemment, pour recueillir et partager des bulles d’idées, des trucs pas très aboutis ou en tout cas pas assez définis pour être transformés en projet à part entière. Pour m’exprimer quelque part, aussi, puisque je n’ai plus de comptes sur les réseaux sociaux et que les livres, les films, ça met des années à se faire. Mais bien sûr, le fait que ce site ne soit relié à rien dans l’espace intergalactique du web, à aucune communauté instagram, à aucune page facebook, me décourage un peu. M’exprimer, mais pour être lue par qui ? Aujourd’hui je surmonte ce léger détail, j’écris, je poste, et pour le lectorat, on verra plus tard. D’ailleurs, quand écrire est un métier, n’est-ce pas comme ça qu’on est censé le faire, sans savoir qui lira ni si on sera lu ?
Je ne fonctionne pas très bien ces jours-ci. C’est peut-être parce que je suis dans un après. Dans l’après avoir terminé mon film documentaire, dans l’après avoir célébré mes 40 ans. Je suis aussi dans l’avant d’autres trucs. Ma mère m’a envoyé une photo depuis le tronçon de Saint-Jacques de Compostelle où elle marche depuis deux semaines avec mon père et ma tante. L’image représentait des reliefs montagneux couverts de végétation et était accompagné d’un court message disant que mes parents pensaient bien à moi. Que parfois, après avoir gravi une montagne à pied, on sent son courage se dégonfler en constatant qu’il va falloir enchaîner sur un nouveau relief, mais que si on se contente de mettre un pied devant l’autre, on finit par l’escalader aussi. Elle ne l’a pas dit exactement avec ces mots, c’est ce que j’en ai gardé. C’est drôle, son message était paramétré pour disparaître après que je l’ai lu, je ne sais pas si c’était volontaire ou non.
Ces jours-ci dès que je veux entreprendre quelque chose je me décourage avant d’avoir commencé. Je pense trop à la montagne et pas assez à mettre un pied devant l’autre. Ou alors je pense à mettre un pied devant l’autre mais je ne le fais pas. Faire un pas est tout à fait différent de penser à faire un pas. Alors disons qu’écrire et poster ce texte sera un pas de plus pensé et posé vers je ne sais quelle montagne.