Loïc avait mis le vinyle « Rumours » de Fleetwood Mac. J’admire depuis longtemps Stevie Nicks sans connaître son parcours, aussi cette fois j’ai entrepris de me renseigner sur elle.
J’ai lu sa biographie sur Wikipedia, plutôt bien faite, axée sur la publication de ses albums avec Fleetwood Mac et en solo. Je vénère « Rumours » et la chanson Edge of seventeen, mais je n’en connaissais pas tant que ça d’autres. J’ai découvert Rhiannon, Gypsy, Landslide, ou la récente Show them the way, que Stevie Nicks a publiée à 71 ans pour accompagner ses contemporains dans le tumulte politique des élections US de 2020 (Dave Grohl à la batterie, toujours dans les bons plans Dave).
Mon admiration grandissait tandis que je prenais connaissance de la vie et l’œuvre de cette autrice-compositrice-interprète incroyable ayant déclaré “il n’y aurait pas eu de Fleetwood Mac sans mon avortement”, dont le succès en solo a par périodes occulté le succès de son groupe de rock pourtant culte, et qui a joué malicieusement avec des rumeurs bigotes persistantes la qualifiant de sorcière (article dédié à ce thème ici). En même temps, quelque chose de moins agréable me grignotait discrètement mais sûrement.
C’est un fardeau depuis la fin de mon adolescence. Je me souviens d’un concert auquel j’assistais avec ma grande sœur, impossible de me souvenir qui jouait sur scène mais il y avait forcément une femme qui chantait. J’ai dit à ma sœur : “c’est fou que ça fasse autant de mal que de bien”, persuadée qu’elle vivait la même chose. J’ai explicité ce que je ressentais : plus j’avais de joie, d’admiration, plus j’avais le désir de faire la même chose, de chanter ma musique sur scène pour le public. Elle m’a regardé avec beaucoup d’affection et m’a dit quelque chose comme “hé non ma petite chérie, tout le monde ne ressent pas ça, c’est bien toi”. Et des années après, ce dimanche à la table du déjeuner, ça m’a fait du bien de l’énoncer, d’abord dans ma tête puis à haute voix : ça me rend un petit peu triste et jalouse de continuer à écouter Stevie Nicks, il vaut mieux que je mette un autre disque.
J’ai mis le dernier album de José Gonzalez. Si elle peut me pincer sérieusement le cœur, je crois que la musique faite par des hommes ne me rend pas jalouse. On pourrait considérer cela comme très essentialiste, mais je ne vais pas me mettre à juger mes émotions, tout au plus suis-je disposée à les observer sous un angle politique. J’ai été socialisée en tant que femme et je me suis majoritairement identifiée au féminin sous un angle assez binaire, tout en ayant la chance d’être contemporaine d’un tas de réflexions qui me redonnent de la mobilité.
Cette tournure personnelle a des émanations bizarres. Vendredi soir j’ai participé à un karaoké dans le resto de mon quartier. Un guitaraoké, pour être plus précise : un musicien avec un catalogue de plus de 100 morceaux accompagnait les amateurices qui se succédaient au micro. Avec des convives de ma tablée, nous avons chanté “Bloody Sunday” et “Parachutiste”, mais je chantais aussi depuis le public durant les autres passages, quand je connaissais les paroles. Sans l’avoir vu venir, assise au milieu de tous ces gens, je me reconnectais à cette vibration dans mon corps qui me donne de la joie, le sentiment de ma force ainsi que l’envie de partager ce que j’ai à l’intérieur de moi. C’était doux-amer : aussitôt identifiée l’origine de cette joie, je la savais trop furtive pour être satisfaisante ce soir-là. Chère grande sœur, j’ai bien conscience que ça n’est pas si fréquent d’être aussi joyeuse que triste lors d’un karaoké… Mais je n’ai pas envie de rester collée à mon ressenti, de ne faire qu’un avec cette complainte au risque qu’elle devienne mon identité. De retour à la maison, j’ai pris un court moment pour essayer de comprendre ces signaux un peu gênants. J’évite les tampons émotionnels notamment dans ce but : être lucide autant que possible pour sentir vers où mes émotions me poussent.
J’ai besoin de garder protégés certains doutes, certains rêves, et je ne raconterai pas encore ce que j’élabore à partir de ces moments. J’ai besoin que la musique ait davantage de place dans ma vie (heureusement il y a déjà Sound Flood, avec qui la composition prend de plus en plus de place ♥), mais il y a aussi d’autres activités créatives qui sont très importantes pour moi et auxquelles je veux donner une plus grande place. Je ne sais pas encore comment faire alors parfois ça n’est pas facile. Je jette différents ingrédients dans le mélange, je les remue en observant les réactions, je fais varier l’intensité du feu, parfois je vais faire un petit tour et quand je goûte je crois remarquer que la recette s’améliore petit à petit. Il m’arrive de me dire que peut-être cette cuisine expérimentale ce sera ça mon histoire, et que je me foutrai de la potion qui en sortira, du goût qu’elle aura. De toute façon, je sais que Stevie Nicks, ma grande sœur et tant d’autres sont à mes côtés pour me soutenir.