Ces chroniques ont été diffusées par la revue Place publique, dans une rubrique en partenariat avec Maison Fumetti, dédiée aux bandes dessinées publiées par des auteur·e·s ou des maisons d’édition de la région nantaise.
Bite Fighter, par Olivier Texier
Olivier Texier est décidément un auteur aux ressources infinies. Le voici de retour avec un album de la délectable collection BD Cul des Requins Marteaux, fruit de son amour pour les jeux vidéos d’arcade un peu nuls et de l’humour au-delà des frontières de la transgression. Côte ouest des États-Unis d’Amérique, 1991. Dans un monde où la civilisation thermo-industrielle s’est écroulée, des petites grappes d’hommes survivent ici et là grâce à un mode de vie respectueux de l’environnement. Le jeune Kato admire beaucoup ses amis Ty et Buzz : ils forment un couple aimant et épanoui, maîtrisant aussi bien l’art du combat que celui de la permaculture. Mais l’admiration confine à la jalousie : lui aussi veut enfin trouver l’âme sœur ! Afin de montrer à tous ce dont il est capable, Kato s’inscrit pour un combat inter-quartiers. Un défi risqué qui entraînera les trois amis et amants de violences sexuelles en rencontres musclées, jusqu’au face à face final avec le redoutable Masked Warrior !
Au-delà du plaisir et de l’humour, Bite Fighter va plus loin et ne se contente pas d’une parodie jouissive. On pourra être surpris de trouver tout ça dans une bande dessinée pornographique, pourtant Texier y évoque avec justesse le péril écologique, les défis de la virilité, ainsi que différentes facettes de la sexualité ! Ainsi, tantôt les sexes sont utilisés comme des armes, tantôt comme des vecteurs de tendresse et d’amour… Comme dans la vraie vie ! Une preuve que l’auteur s’est attelé à cet album pour adultes avec la même passion, la même sincérité et application qu’il met dans toutes ses œuvres.
► Bite Fighter par Olivier Texier, publiée en janvier 2017 par Les Requins marteaux. 136 pages. 12€. Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Momo T1, par Jonathan Gardiner & Rony Hotin
Les vacances d’été battent leur plein lorsque nous faisons la connaissance de la petite Momo et de son riche univers. Son papa est parti pour plusieurs mois travailler sur la mer, et comme toujours dans ces cas-là, Momo est confiée à sa grand-mère. Entre le jardin potager, les bosquets alentours et le village, tout est terrain d’exploration pour une petite fille curieuse comme elle. Sans compter les incroyables rencontres qu’on peut y faire ! Il y a le gros poissonnier barbu qui fiche un peu la trouille, Françoise, à qui Momo aimerait bien ressembler plus tard, Banane et son gang à mobylette, sans oublier Julien et ses copains.
Outre les découvertes petites et grandes, ce sont aussi d’intenses moments sensoriels que nous font vivre cet album aux côtés de cette enfant rebelle et touchante. La pluie qui tombe sur le béton chaud, l’écossage des petits pois, le rayon de soleil qui réchauffe les orteils le matin, les mains crevassées d’une grand-mère… Une jolie collection de moments glanés et retranscrits avec beaucoup d’authenticité. Le scénariste Jonathan Garnier, dont c’est le premier album publié, y a mis ses propres souvenirs en travaillant notamment à partir d’objets et de photographies de son enfance. Si on sent une certaine nostalgie, il les aborde toutefois sans naïveté ni stéréotypes. Car ce qui caractérise l’enfance, ce n’est pas l’insouciance, mais la précieuse aptitude à vivre émotions et sensations en étant complètement immergé dans le moment présent. On attendra la suite avec impatience, en croisant les doigts pour que, comme dans ce premier opus, les joies soient plus nombreuses que les inquiétudes pour l’attachante Momo.
► Momo T1, de Jonathan Garnier & Rony Hotin, publié aux éditions Casterman mars 2017. 88 pages. 16€. Plus d’infos sur le site de l’éditeur.
El Mesías, de Mark Bellido & Wauter Mannaert
Bienvenue à Marinaleda, petite ville de la campagne andalouse régie depuis 1979 par les principes du communisme participatif. Ici tout le monde a du travail, tout le monde est propriétaire ! El Pocero, un baron de l’immobilier déchu, ruiné, humilié, découvre par hasard ce paradis rouge à la télévision, et n’ayant plus rien à perdre décide d’aller voir comment on y vit. Une nouvelle existence va alors commencer pour lui aux côtés des habitants de Marinaleda et dans l’ombre de Jesús Sanchez, le maire et leader charismatique de la ville.
Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes n’est absolument pas fortuite. La ville de Marinaleda, théâtre de El Mesías, existe bel et bien ! Elle est réellement le creuset d’une expérience de démocratie participative et sociale remontant à la fin des années 70, menée par un homme qui se déclare communiste comme le Christ, Gandhi et Marx. Mais il ne s’appelle pas Jésus. Et l’histoire de cette petite ville espagnole ne serait sans doute pas la même si elle était racontée par le maire, par son opposant socialiste ou par un ado gavé de communisme depuis sa naissance. Mark Bellido, scénariste de cet album, se présente comme “un conteur de mensonges qui utilise des images et des mots pour raconter [sa] vérité”. Il crée ici une fiction inspirée de Cervantes, pleine d’éléments loufoques et symboliques, mais qui illustre la mise en œuvre d’une utopie en maniant habilement le clair-obscur. Certes, la planification urbaine a éliminé la spéculation et les occupations de terres privées ont permis des centaines de créations d’emploi. Seulement le livre n’omet pas de raconter les écueils de la personnalisation à outrance, pose la question de la pérennisation d’un tel projet, de la transmission de la foi politique. Car si on se réclame de Jésus Christ, il faut sans doute s’attendre à finir crucifié. Mark Bellido et Wauter Mannaert signent là une fresque politique passionnante, agitée d’un double mouvement de déconstruction des illusions et de construction d’un espoir. Une bande dessinée enthousiasmante, en cette période de fiasco de la politique professionnelle !
► El mesías de Mark Bellido & Wauter Mannaert, publié en mars 2017 par les éditions Vide Cocagne. 288 pages. 22€. Plus d’infos sur le site de l’éditeur.
Les Jours de la merlette et autres histoires, de Manuele Fior
Manuele Fior est l’auteur de deux albums remarqués et remarquables : Cinq mille kilomètres par seconde, publié en 2010 et couronné par le Prix du Meilleur Album au Festival d’Angoulême en 2011, et L’Entrevue, sorti en 2013. Pour qui a lu et aimé ses livres, le plaisir est grand de le retrouver dans ce recueil d’histoires courtes publié par la maison d’édition nantaise Ici Même. Créées entre 2007 et 2015, souvent réalisées pour des commandes, elles explorent différents thèmes et styles. On pourra être un peu frustré que le talent narratif de Fior ne puisse se développer ici sur plus de 25 pages. Toutefois, on y retrouvera le magnifique trait aquarellé de l’auteur italien, tout en justesse, plein de bienveillance sans être lénifiant. On y croisera des personnages et des univers familiers, comme l’envoûtante Italie futuriste de L’Entrevue ou la chaleureuse Norvège de Cinq mille kilomètres par seconde. Ces histoires furtives nous rappellent comme il est agréable de se laisser emmener par un artiste qui a une vision, un style, et ce, même pour quelques courtes balades.
► Les Jours de la merlette et autres histoires de Manuele Fior, publié en mars 2017 par Ici Même. 104 pages. 22€. Plus d’infos sur le site de l’éditeur.