Ces chroniques ont été diffusées par la revue Place publique, dans une rubrique en partenariat avec Maison Fumetti, dédiée aux bandes dessinées publiées par des auteur·e·s ou des maisons d’édition de la région nantaise.
Dans la chambre du cœur se trouve un éléphant de Marco Galli
L’écrivain Almo Brazil a gagné un peu d’argent et perdu l’inspiration. Alors pour dépenser l’un et retrouver l’autre, il part sur Balhore, la planète la plus lointaine de la galaxie. On ne saura pas d’où il a décollé ni en quelle année on est, mais ça n’a pas d’importance : cet album tire son charme du mystère, des zones d’ombre, alors tant pis si on n’a pas une explication à tout.
Balhore et sa médina, ses eaux rouges hallucinogènes, ses femmes fatales, ses nuits d’ivresse et ses écrivains… Lui qui voulait voyager pour se retrouver sera bientôt happé par ce lieu envoûtant et ses habitants. D’autant que les rues sombres de la ville sont comme les plis de son inconscient : a-t-il vraiment envie de savoir ce qui s’y cache ? Sans savoir où tout cela le mènera, Almo tient à vivre l’expérience à fond et se laisse guider par ses émotions, allant de surprise en surprise. Le lecteur le suit d’autant mieux que l’auteur, Marco Galli, ose des morceaux de bravoure graphiques qui plongent radicalement dans les sensations. Les tâches rouges dans le noir et blanc s’impriment pour longtemps sur notre rétine, les aquarelles transmettent les odeurs de la ville, et une pleine page sur la rencontre avec un éléphant nous fait sentir l’importance du moment. Almo Brazil ne restera pas à Balhore, et nous non plus : on ne peut sans doute pas vivre chaque instant de sa vie d’une manière aussi intense. Dans la chambre du cœur se cache un éléphant est le deuxième album de Marco Galli traduit par la maison d’édition nantaise Ici Même, et le voyage en vaut la peine.
► Dans la chambre du cœur se cache un éléphant de Marco Galli, publié par Ici Même en octobre 2016. 160 pages. 24€.
Sauvage, la sagesse des pierres de Thomas Gilbert
Homo sapiens urbains suspendus à nos écrans, il nous arrive parfois de réaliser à quel point nous sommes déconnectés de la nature… Alors on s’offre une escapade, le temps d’une photo pour nos réseaux sociaux ! Et si au lieu de cette distance arrogante, nous avions l’humilité d’apprendre d’elle ? Que deviendrait un être humain remis à sa toute petite place au sein de la nature ? Thomas Gilbert apporte des réponses radicales à ces questions existentielles, par le biais du parcours de son héroïne.
“Laisse-moi me transformer, laisse-moi devenir vraie, laisse-moi devenir sauvage !”
Sauvage, la sagesse des pierres
Elle est une jeune femme d’aujourd’hui, entravée dans sa liberté, s’en satisfaisant comme elle peut. Jusqu’à ce que quelque chose la transforme, au cœur de la forêt. On taira la ou les causes de cette métamorphose, pour évoquer son résultat : loin de tenter de regagner la civilisation, elle va au contraire chercher à s’adapter, à vivre comme les animaux, les arbres et les pierres. Tandis qu’elle tâtonne et éprouve sa liberté durement gagnée, en creux on se réjouit et on souffre… On se réjouit de suivre ce parcours inouï, on souffre de constater comme on est loin de la sagesse des pierres ! C’est à une expérience spirituelle que nous convie Thomas Gilbert, dont on avait compris qu’il aimait les récits intenses depuis Oklahoma Boy. On ressent comme Sauvage a dû être un projet mûri en profondeur, tant les partis pris dans la narration comme dans le dessin sont forts et virtuoses. On le remercie de nous montrer ce qu’on ne regarde pas assez, mais aussi de nous bousculer dans nos idées reçues sur la mort, sur la beauté, sur le bonheur. On ressort des ces 300 pages reconnaissant d’avoir été ainsi bouleversé : un signe qu’on vient de lire un livre important.
► Sauvage ou la sagesse des pierres de Thomas Gilbert, publié par les éditions Vide Cocagne en octobre 2016. , 300 pages . 25€. Plus d’informations sur le site de l’éditeur.